Mon roman “Vents et Marées” se divise en trois livres
Le livre premier débute par un huis clos troublant, une nouvelle, dont l’écriture est guidée par l’unité de temps, une journée; l’unité de lieu, un appartement parisien; l’unité d’action, clore les rideaux sur une vie insoutenable.
En toile de fond: la mer qui se mue en personnage au fil du récit.
Pages 56-57-58 :
“Je ne monte plus seule l’escalier de bois verni. Tu te plais dans ma chambre de bonne, tu t’y sens mieux que dans ton appartement désert : c’est là que nous nous déshabillons l’un pour l’autre. Nous déshabillons nos cœurs et les ouvrons tout grands, nous déshabillons nos corps aussi, et nous nous les offrons entre fougue et pudeur : c’est le mois de mai, les cris, les barricades, les meetings nous indiffèrent, nous sommes seuls au monde.
Certains font la guerre dans la rue, tout en bas et nous, nous faisons l’amour tout en haut, sous les toits de Paris, dans le ciel bleu.
L’azur soudain s’encombre d’un nuage plombé ; au loin, une longue vague de nostalgie grise roule, elle s’approche.
Je la défie, mais elle me nargue.
Enfant, je regardais la vague avancer en riant aux éclats et j’y plongeais avec énervement et délice : trépignant de plaisir, avide de sensations, j’y piquais la tête, juste dans le creux, au moment où le mur liquide se dresse avant de s’effondrer : le fracas s’assourdissait subitement, la caresse de l’eau me soulevait avec puissance et douceur, comme le danseur soulève son étoile ; toujours, toujours, j’émergeais alors dans un lac plus plat, plus quiet, attendant la furie suivante.
Aujourd’hui, le rouleau devient lame glauque, menace de m’engloutir dans son écume jaune, lourde de sable charrié. Je m’y noie, mon vieux T-shirt en est trempé, je me jette sur le lit, je m’entends gémir, je ne suis plus qu’un cri angoissé face à cette lame que j’essaie vainement de dominer ; je garde la tête hors de l’eau, puis je m’abandonne avec désespoir aux caprices d’un courant qui m’emmène, se joue de moi.
Jean… Je t’aime tant… et je ne parviens plus à t’aimer, à te le montrer.
Oui, je me force à te sourire, à te parler, à t’accueillir. Je me force à accepter ta présence, tes caresses, tes baisers.
Je me force à te dire oui quand tu as envie de moi, mais depuis plusieurs semaines, cela devient rare… Je ne joue plus bien la comédie sans doute, tu es raffiné, tu dois te douter que je ne vais pas bien.
Tu es moins attirant : tu as pris l’habitude de boire plus qu’avant, ton sommeil est lourd, ton bonsoir bref, tes caresses furtives.
Je pleure longtemps. Mes larmes se tarissent enfin, mes joues sont humides, je les sens gonflées, je dois être affreuse.
Je préfère ne pas me voir, je reste couchée sur le lit, écoutant les battements réguliers de mon cœur.
Et s’il s’arrêtait ?
D’un coup, sans crier gare… Je suis tellement tourmentée que j’en arrive à le désirer.
Suis-je folle ?
Je vais me lever, je le dois.
Je m’assieds. Vertige, trou noir.
Cela passe.
Je pose les pieds sur le sol avec précaution : je me mets debout, je me rassure, je me sens stable.
Une ombre noire pend, là-bas, sur un cintre, à la poignée de l’armoire : c’est ma robe. Après ma douche, je l’apprivoiserai, elle se drapera souplement autour de moi, comme toujours. Je lui fais confiance.
J’entre dans la salle de bain, je réalise qu’au loin, les cloches de Saint-Sulpice s’ébranlent.
Un mariage ? Un mercredi ? Bizarre.
Je me décompose : non, c’est la messe de midi, déjà. Je ne pourrai jamais être prête dans une demi-heure. Je me regarde dans le miroir, espérant y trouver une once de courage, d’espoir : je m’avoue vaincue devant ma mine défaite, l’ampleur du travail me semble énorme.
Je n’ai plus d’énergie pour pleurer à nouveau, j’en ai envie, j’en ai besoin, mais les larmes stagnent dans mes orbites, mon crâne s’alourdit, il va éclater.
Je titube jusqu’à mon lit, je me recouche, les yeux grands ouverts : je me laisse bercer par le son joyeux des cloches.”
Page 91:
“Mes membres n’existent plus, je ne suis plus qu’un tronc qui sursaute, des narines qui happent l’air, une bouche qui gémit, deux pupilles grandes ouvertes qui fixent, horrifiées, l’ombre noire de ma robe : comme un ballon obscène, elle se gonfle ; elle laisse passer dans un grand souffle la lame grise qui me défie puis s’avance, s’enroule sur elle-même, puis m’engloutit dans sa pénombre, dans sa nuit.”
Une nuit, les pages de la nouvelle sont emportées dans l’horreur terroriste parmi les feuilles mortes de novembre. Pourront-elles, un jour, être réunies?
Et quel sera leur devenir?