TALI NOHKATI, LA GRANDE TRAVERSEE – Episode 7 : ATSINA LE BISON

logo-tali-no-1

Résumé des épisodes précédents : seul survivant d’une bourrasque de feu, TALI NOHKATI est parti à la recherche de ses semblables. En chemin, il a croisé l’ourse Yupik et son petit Qanuk. Il a vogué dans le ventre d’Atii la baleine. Il s’est lié d’amitié avec des loups dans une forêt. Après avoir retrouvé Coyote et fait la connaissance d’Atsina, le bison des plaines, Tali va encore faire une étonnante rencontre.

7 – Zia Zia 

Tali Nohkati, suivant la course du soleil, quittait le pays des plaines. Dans l’éclat d’une lumière plus intense, d’autres couleurs s’offraient à son regard. Au sein de ce nouveau paysage tourmenté de rocs et de parois rocheuses, les ocres le disputaient aux rouges, tranchant l’azur comme le ferait une lame. Pourtant, la terre, plus aride, n’en n’était pas moins belle. Bon chasseur, Tali Nohkati trouvait à se nourrir. L’eau, le gibier n’étaient pas rares et les replis des murs de pierre fournissaient des abris sûrs. Dans l’un d’entre eux, il s’installa.

Au terme d’une journée, sur le sentier qui le menait à son repaire, il vit des traces sur le sol. Longues et fines, elles semblaient aller et venir de nulle part. Tali Nohkati n’en avait jamais vu de telles. Avant que le soleil ne disparaisse de l’horizon, il tenta d’en déterminer l’origine. Il écouta, observa le terrain alentour. En vain, il ne découvrit pas le moindre indice d’une présence suspecte. Puis vint la nuit et Tali Nohkati s’endormit.

Le lendemain, il fut tiré de son sommeil par des bruits secs, courts et répétés. Prudent, Tali Nohkati se contenta d’ouvrir les yeux et se garda de bouger. Les bruits étranges tintèrent de nouveau. Tali Nohkati se redressa et aperçut, non loin de lui, un serpent à sonnettes. Incrédules, ils se regardèrent un moment. Enfin l’animal s’adressa à Tali Nohkati : 

  • Ak Chin Chiricahua Cochit Cocopa ?
  • ???????
  • Chochimi Mohave Seri Toboso Walapai ? poursuivit l’animal.
  • ???????

Déconcerté, l’enfant se contenta de répondre :

  • Moi, Tali Nohkati.
  • Ah ! s’exclama le reptile. Moi, Zia Zia !

Et tout en se tortillant autour de l’enfant, il ajouta :

– Je t’observe depuis plusieurs jours et je me demande bien ce que tu fais seul ici. Ceux qui te ressemblent sont déjà partis.

Tali Nohkati raconta alors ce qui lui était arrivé. Zia Zia, attentif, ne perdait pas un mot de cette histoire.  

– Psiiiiiiiitt ! Quelle aventure ! Susurra le serpent admiratif. Hélas, tu arrives trop tard. Les hommes d’ici fuient la saison chaude et remontent vers les plaines pour chasser.

Cette saison chaude évoquée par le reptile intrigua Tali Nohkati. Lui qui ne connaissait que les soubresauts des grands froids, des tempêtes et la clémence estivale des régions qu’il avait traversées, voulut en savoir plus.

– Ici, pendant l’été, le feu du ciel règne en maître absolu. Torride, il assèche, brûle, ravage la terre. Et quand je te vois, à peine vêtu, sans écaille…

– Me conseilles-tu de rebrousser chemin ? S’inquiéta Tali Nohkati.

– Tu n’arriverais pas à temps ! Mais n’aie crainte ! dit Zia Zia. Je connais ce pays dans ses moindres recoins.

Après sa terrible épreuve, la chaleureuse amitié de Zia Zia réconfortait Tali Nohkati. De bonne compagnie, toujours joyeux, il sifflotait sans cesse et ses conseils allaient bientôt s’avérer utiles.

Jour après jour, le feu du ciel devenait implacable. Soleil aveuglant, mirages, chaleur écrasante, végétation éparse, rien ne manquait au décor. Dans cet enfer minéral, Zia Zia guidait Tali Nohkati et n’avait pas son pareil pour lui révéler les secrets de la survie. 

Un matin, il le conduisit par des chemins escarpés jusqu’à l’entrée d’une grotte. Une fraîcheur apaisante les accueillit. Zia Zia, dans le sillage des raies de lumière pénétra plus avant et invita Tali Nohkati à le suivre.

Au creux d’un bassin de roches blanches, une onde claire miroitait. Ses reflets jouant sur les parois, faisaient vivre un paysage extraordinaire. Des arbres dansaient, des biches sautaient, des oiseaux volaient, des bisons couraient, des poissons frétillaient, des hommes chassaient sous les yeux ébahis de Tali Nohkati. Sur une autre paroi des visages fantastiques s’animaient. Mi hommes, mi bêtes, ils semblaient l’observer, le suivre du regard.

Tali Nohkati s’approcha des fresques, les caressa. La justesse des traits et la beauté des couleurs le fascinèrent.

Était-ce là l’origine du monde ? Rêvait-il ou était-il envoûté par un sortilège ? Se demandait-il intrigué.

Soudain l’empreinte d’une main attira son regard. Alors Zia Zia lui raconta l’histoire de ces peintures. L’histoire des hommes qui les avaient faites.

Tali Nohkati l’écouta, ému. S’approchant un peu plus, il posa sa main dans celle qui était tracée sur la pierre. Cela fit battre son cœur et il se souvint. Il se souvint de la main de sa mère qui caressait ses joues. Il se souvint de la main de son père qui se posait sur son épaule. Et dans le silence absolu de la grotte, des larmes glissèrent sur son visage. Ses larmes glissèrent dans l’eau claire.

Sur le chemin qui les ramenait au repaire, Tali Nohkati, fasciné par ce qu’il venait de découvrir, ne cessait d’interroger Zia Zia : 

  • Tu étais là au commencement du monde ?
  • Non ! Je suis né après. Pourtant, ses premiers soubresauts résonnent au fond de moi. Ah ! Dans un vacarme assourdissant, l’écorce de la terre se soulevait, s’effondrait, se soulevait à nouveau. De ses entrailles jaillissaient des torrents de lave et toutes les promesses de cette fabuleuse aventure de la vie. 

Tali Nohkati ne se lassait pas de l’entendre. Zia Zia, enthousiaste, continuait :

  • Fruit du travail harassant de Coyote et de la Lune, cette aventure incroyable se déroulait, mais dans un désordre indescriptible. Cela ne pouvait pas durer ! Alors…
  • Alors ? demanda Tali Nohkati.

 Zia Zia, de plus en plus enthousiaste, se mit à sinuer sur le sol. Et, formant avec son corps souple un cercle parfait d’où partaient des rayons étincelants, il expliqua :

  • Depuis, les jours succèdent aux nuits qui succèdent aux jours. Du nord au sud, d’est en ouest, les oiseaux volent dans le ciel, les poissons nagent dans l’eau, le soleil brille du matin au soir, les étoiles scintillent du soir au matin. Depuis, les fleuves se jettent dans la mer, les montagnes s’élèvent dans le firmament, les saisons s’égrènent …
  • Et mes semblables, et moi ? demanda Tali Nohkati entraîné par la verve du serpent.
  • En ce temps-là, en ce temps du commencement, vous n’existiez pas encore, lança Zia Zia. Votre souffle ne traversa l’univers que bien plus tard, bien plus tard.
  • Quand ? voulu savoir Tali Nohkati.
  • Quand Coyote, de ses quatre pattes, pétrit l’argile avec force. A ce moment-là seulement, toi et tes semblables apparaissiez sur les berges verdoyantes d’une belle rivière.

Cette révélation inattendue sur sa naissance renvoya tout à coup Tali Nohkati à l’aridité du désert. Il prit une poignée de sable qui s’écoula à travers ses doigts, comme s’étaient écoulées les premières années de sa jeune existence. Et chaque grain se dispersa dans le vent pour se fondre dans la lumière.

Les jours succédaient aux nuits qui succédaient aux jours. Tali Nohkati et Zia Zia s’entendaient bien. Leur complicité adoucissait la rudesse du climat. Quant aux enseignements prodigués par le reptile, ils permettaient à l’enfant d’acquérir encore plus d’autonomie et d’augmenter sa résistance.

Se nourrir quand il y a peu, s’enterrer quand il n’y a pas d’ombre pour échapper aux brûlures du soleil, attendre l’obscurité pour aller chasser, la survie n’était possible qu’à ces conditions. Zia Zia ne voulait pas laisser le hasard décider seul. Aussi, ne négligeait-il aucun conseil.

A toutes ces connaissances, il en ajoutait une qui passionnait Tali Nohkati. Le soir venu, le reptile lui apprenait des rudiments de langues parlées par les hommes. Syllabe après syllabe, il prononçait les noms qu’il faut pour se comprendre. Tali Nohkati, répétait après lui :

Ak Chin Chiricahua – Caniba Tolowa – Chochimi Cocopa –Kittitas Kwalhioqua

Arapaho Talio- Luceros Navajos- Piro Pueblos Taos – Tohono Toboso

Pima Arizona – Karankawa Suma – Twana Bella Bella – Haida Kalapuya

Nipissing Quiripi – Panamint Unami – Missouri Biloxi – Saponi Pikuni

Et dans la nuit, ils reprenaient ensemble ces mots étranges, en chantant à tue-tête sous la grande arche des étoiles.

Un matin Tali Nohkati fit remarquer que la saison chaude n’en finissait pas.  

  • Tu as raison, répondit Zia Zia. La saison chaude n’en finit pas.

Et d’humeur chagrine, il ajouta :

  • D’ailleurs… elle ne finira jamais … Tes semblables ne reviendront pas. 

Tali Nohkati, étonné, le regarda. Zia Zia soupira et avoua :

  • Je ne savais comment faire, ni quel moment choisir pour te le dire.
  • Mais alors, demanda Tali Nohkati, qu’ai-je vu dans la grotte ?
  • Le souvenir d’un temps heureux. Celui qui précéda le souffle incandescent. Ce souffle balaya tout sur son passage. Rien ne pouvait arrêter les coups mortels de la foudre et la course effrénée de son cortège de flammes. Rares sont ceux qui survécurent à cette catastrophe.

Ce récit troubla Tali Nohkati. Serait-il revenu, sans le savoir, sur la terre de ses ancêtres ? Mais le fil de ses pensées fut interrompu. Zia Zia, la voix pleine d’émotion, continua :

  • J’avais trouvé refuge dans les plis d’une montagne. Quand je revins à la lumière, c’est le paysage que nous admirons aujourd’hui qui s’offrit à mes yeux. Dès lors, la solitude, telle une malédiction, fut ma seule compagne. Aussi, quand je t’ai vu, la joie s’empara de moi. Je fis tout mon possible pour que tu ne me craignes pas.
  • Et qu’aurais-je eu à craindre ? demanda Tali Nohkati.
  • Ma fatale morsure ! Voilà la seule chose que les hommes retenaient de moi. Mais toi qui vas bientôt partir, tu leur diras que je ne suis pas qu’une funeste créature. 
  • Je leur dirai la vérité, dit Tali Nohkati. Je leur dirai tout ce que tu m’as appris, toutes les leçons de vie que tu m’as données. Je leur dirai que je connais des morsures plus fatales encore, celles du froid, de la faim, de la peur ou de l’absence.
  • Ah ! Tali Nohkati, Tali Nohkati ! Comme tu vas me manquer. Mais n’attend pas, n’attend plus ! Il te faut rejoindre tes semblables. Il te faut vivre avec eux.

Enfin Zia Zia se tût. Sa peine était trop grande. Il se pelotonna sur les genoux de Tali Nohkati et profita des derniers moments qu’ils allaient passer ensemble. L’instant du départ arriva. Zia Zia dit à l’enfant :

  • Voici des turquoises venues du fond de la terre. Je te les donne afin qu’elles te protègent durant ton long voyage.

Tali Nohkati les contempla, émerveillé. A son tour, il ôta les opales de la lune qu’il portait sur son cœur pour les offrir au reptile. 

C’est alors que le serpent prit les opales de feu et les turquoises. Sous le regard ébahi de l’enfant, il assembla les pierres, alterna leurs reflets d’or et d’azur, scellant ainsi l’alliance du ciel et de la terre. La parure était belle. Tali Nohkati n’osait y toucher.

  • Tu peux la prendre, dit Zia Zia. Elle est à toi. Les cornes d’Atsina symboliseront ta force et ce collier, ta sagesse.

L’enfant le rangea avec soin, salua Zia Zia une dernière fois. Enfin, il s’engagea sur le chemin. Le reptile suivi ses premiers pas. Puis il le laissa. A quoi bon !

Il sinua plusieurs jours. Il sinua plusieurs nuits, se retournant de temps en temps. La silhouette de Tali Nohkati disparut et Zia Zia retrouva les plis de la vieille montagne qui l’avait abrité au jour du grand cataclysme. 

– § –

Retour en haut