La mort d’une mouche – Écrire le matin comme on fait ses gammes

tasos-mansour-QHmW-fmCLSs-unsplash

 

La mort d’une mouche

L’été a commencé à s’étirer et les persiennes se couchent. La chaleur monte, le bitume chauffe et l’asphalte rougit. Le pays tout entier suffoque. Les corps ne sont plus que langueur et la vie semble se figer. Les rues se vident quand le soleil monte au zénith. On devine des vies ralenties derrière les volets clos. 

Allongée sur un divan dans le noir de l’après-midi, un livre à la main, je l’entends revenir. Tôt ce matin, elle tournait et virait dans la fraicheur de ma cuisine. On aurait dit qu’elle était bien. Elle traversait la pièce à toute allure, faisait des loopings et prenait des virages à fond les manettes. Elle s’arrêtait de temps en temps pour se frotter les pattes et une fois ses soies nettoyées, elle repartait de plus belle. Je lui avais même donné un petit nom, Moscatella. Le prononcer en faisant rebondir ses deux ailes. Il m’avait traversé l’esprit d’aller chercher ma tapette mais j’avais vite chassé l’idée. Elle ne me dérangeait pas, alors de quel droit. En plus elle était toute seule la pauvre. Puis je l’avais oubliée, vacant à mes occupations.

Il me semble qu’elle est tout à coup moins vive. Elle ne vrombit plus de la même façon. Elle volette plus lentement et son bourdonnement se fait plus ténu. Soudain, je ne l’entends plus. Je tourne alors les yeux et la devine dans l’ombre, posée sur un abat-jour. On dirait qu’elle fait une pause. Cela me soucie un peu quand même. C’est fou de s’attacher à une mouche. Cela doit être parce que je lui ai donné un nom ! Je n’aurais peut-être pas dû. Nommer fragilise on dirait ! Le temps que je songe à tout cela elle a redécollé vers la vitre du vaisselier. Se regarde-t-elle ? Moscatella serait-elle coquette ? Malheureusement non car Moscatella voit flou de naissance, comme toutes ses congénères. Je l’observe et je la vois se cogner plusieurs fois sur la vitre. À quoi peut-elle bien songer en ce moment-même ? Je reprends ma lecture mais au bout d’une page je repense à elle. Je me lève et la vois tambouriner une dernière fois contre la paroi et amorcer une chute qui semble définitive. Petite tache noire sur le carrelage, elle ne bouge plus. Son corps qui avait dû autrefois luire d’un vert mordoré est maintenant tout fripé. Ses ailes sont pliées et elle ressemble à une grosse poussière sombre. Moscatella vient de mourir, un après-midi d’été, lasse de toute cette chaleur et seule. Je la prends délicatement et vais la déposer au pied du laurier rose sur la terrasse. Protégée loin des araignées gloutonnes ou des oiseaux gourmands, elle pourra se reposer. Moscatella, nommée pour quelques heures à cause de la chaleur de mon esprit échauffé !

Crédit photo @Tasos Mansour

Retour en haut