Dans ma newsletter du mois de juillet, j’avais envie de prendre le large. J’ai interviewé deux plumes très différentes qui ont les espaces maritimes pour point commun.
La passion de la navigation a amené Marion Haug à devenir plume pour le monde maritime. Quant à Juliette Garrigue, autrice de Matria, roman philosophique utopique, elle nous embarque sur une île imaginaire.
J’ai d’abord échangé avec Juliette. Je l’ai rencontrée lors d’un atelier d’écriture aux Mots, il y a quelques années, je me lançais dans un roman qui suit le cours de la Volga, et elle écrivait les premières pages de Matria où l’océan est omniprésent. J’avais été impressionnée par son univers et la voix qui le porte.
Matria est une île où vivent principalement des femmes qui ont instauré un nouveau pacte social fondé sur la nature, la liberté des genres, l’entraide. Elle est coupée du monde, très éloignée d’un continent. Les éléments, l’océan et cette île sont des personnages à part entière de ton roman.
Juliette Garrigue – Quand j’ai commencé à écrire cette histoire, j’avais besoin d’un territoire isolé. Je l’ai placée au milieu de l’océan, un espace comme une coupure, une distance. Sans me poser de questions. Choisir une île, c’est choisir un territoire à l’écart, protégé, où l’on peut inventer de nouvelles lois et expérimenter d’autres façons de vivre.
J’avais cette frustration, quand j’étais petite, de vivre loin de l’océan alors que c’est un élément dans lequel je me sens bien. Je suis née en Corrèze. L’été on allait toujours à l’océan. C’était une récompense, l’aventure de l’été, le soleil, les amours. Dans mon imaginaire, c’est un espace nourricier. Tout cela a sans doute fait écho. Je voulais vivre à l’océan et je me suis installée à Clermont-Ferrand… Le Massif Central, c’est le château d’eau de la France, système veineux de l’océan.
Comment as-tu écrit l’océan autour de Matria ?
Juliette Garrigue – Il fallait remettre la nature en général, et donc la mer dans son rôle central de toute-puissance. C’est elle qui irrigue. Elle est à la fois le bain originel et une forme de violence. C’est par elle que sont repoussées les personnes ou qu’elles reviennent. Elles n’ont pas d’emprise sur elle, mais elles sont en prise avec la nature. Par son ressac, elle peut ramener le passé. Une histoire qui se rejoue sans fin. La mer permet de donner un rythme et un horizon lointain. Les grands moments du livre se passent dans la mer, dans les vagues.
C’est vrai qu’au tout début, je pensais à un lieu refuge. J’écrivais comme ça venait, en me jetant dans le bain, puis l’île s’est imposée.
Écrire c’est se jeter à l’eau, partir comme un navigateur…
Juliette Garrigue – Tu pars en voyage, à l’aventure, en quête de quelque chose. Au fond, la mer est le lieu où tout naît, où tout se forme. Il y a aussi ce bouillonnement, on va brasser des choses intimes et en enfouir d’autres, dans les abysses.