Le titre de l’oeuvre la plus célèbre de William Faulkner (1897 -1962) , « Le bruit et la fureur« , dont le narrateur principal, Benny, souffre de déficience mentale, est un emprunt à la célèbre citation de Macbeth définissant la vie: « La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui, son heure durant, se pavane et s’agite sur la scène, et que l’on n’entend plus. C’est une histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur – et qui ne veut rien dire ». Ainsi, dans l’oeuvre de William Faulkner, il faut chercher les vérités essentielles là où le langage fait naufrage, dans ses ruptures, dans le manque de grammaire… dans ce qui ne veut rien dire.
Ou, au contraire, là où l’excès de langage correspond à l’incapacité humaine à exprimer quelque chose de plus grand que soi.
Dans cet article, je vous révèle deux procédés d’écriture empruntés à Faulkner.
Dans l’écriture « faulknérienne » l’incapacité à « dire », la faillite du langage, correspond à un effondrement de l’être, et permet ainsi de révéler les emotions les plus fortes.
Faulkner s’inscrit dans la lignée moderniste (aux côtés de Joyce, Woolf, Eliot) qui constate que le langage ordinaire ne suffit plus à exprimer l’épaisseur de l’expérience humaine.
Chez lui :
- Les mots sont trop pauvres pour traduire la violence du temps, de la mémoire, du trauma.
- Le langage apparaît comme défaillant face au chaos de la conscience — surtout chez des narrateurs qui parlent depuis la confusion, le désordre psychique, l’obsession.
Cette « faillite » n’est pas seulement un thème : elle devient un principe de narration. Je me suis (très humblement) appuyé sur quelques procédés stylistiques caractéristiques de William Faulkner pour l’écriture de Taman Asli.
L’excès de langage comme expression de l’incapacité à nommer ses émotions.
“I give you the mausoleum of all hope and desire; I give it to you not that you may remember time, but that you might forget it now and then for a moment…”
(Quentin, The Sound and the Fury)
- Ici, le langage est débordé par l’abstraction qu’il cherche à cerner. La confusion de la syntaxe reflète la confusion intérieure du personnage. L’excès de langage, sous la forme d’une énumération, ou d’un excès d’images lyriques, donne lieu à un enchevêtrement de mots qui s’entrechoquent, et montrent l’incapacité du personnage à exprimer ce qu’il veut définir. Cette phrase démontre à la fois l’incapacité du personnage à s’exprimer et en même temps la poésie inconsciente qui se dégage de l’être humain.
Exemple dans Taman Asli:
Et pour vous, jeune homme, c’est quoi la Malaisie?
Ce sont les orages que l’on attend impatiemment, ce sont les nuits où, pour une raison inconnue, les cobras reprennent la ville; c’est la douleur que l’on ressent après une morsure… C’est le sang, qui fait battre nos cœurs de jungle jusqu’à en pleurer, aurais-je pu répondre, à ce moment là, si j’avais eu les mots.
(Chapitre 4)
La réduction du langage, reflet de la réduction de l’être
Dans Sanctuaire, Temple Drake se réfère ainsi à l’agression sexuelle qu’elle a subie:
I couldn’t think I was a girl.
I couldn’t think I was
I couldn’t even think I.
(Temple Drake, dans Sanctuaire)
La répétition de la même phrase, réduite à chaque fois, pour ne se limiter finalement qu’à l’expression la plus élémentaire du sentiment à exprimer (l’impossibilité de penser que l’on « est ») , génère une forte amplification de l’impact émotionnel.
Exemple dans Taman Asli.
Je pensais que tu était devenue une partie de ma vie.
Une partie de mon ombre.
Ma lumière.
(chapitre 17)
Faulkner ne constate pas seulement que le langage est en faillite — il met en scène cette faillite comme un horizon nécessaire, la condition même pour dire ce qui autrement resterait enfoui. Le langage vacille, mais c’est dans ce vacillement que la vérité apparaît.

