Trop tard pour être précoce
chronique d’une jeunesse différée
J’ai une affection sincère pour Colette — l’auteure, la femme, la revendicatrice. Elle explorait ce que les autres n’osaient même pas formuler, ce que certains n’avaient imaginé que dans leurs tiroirs à secrets. Elle écrivait avec une sensualité assumée, une lucidité tranchante, une liberté qui dérangeait autant qu’elle fascinait. Comme elle le disait si bien : « Moi, c’est mon corps qui pense. Il est plus intelligent que mon cerveau. Il ressent plus finement, plus complètement que mon cerveau. Toute ma peau a une âme. »
Colette ne revendiquait pas : elle incarnait.
Il n’est pas rare que l’on me demande ce qui m’a poussée à écrire à un âge certain — pour ne pas dire avancé, comme si l’écriture avait une date de péremption.
Je réponds, presque en m’excusant, que l’opportunité ne s’est jamais vraiment présentée. Le temps, ce grand sablier impitoyable, s’est écoulé entre le travail, les enfants, les responsabilités, les urgences du quotidien. En un mot : la vie. Et celle-ci, justement, ne laisse guère de place à l’écriture quand elle vous réclame tout entière. Mais si je pouvais formuler un idéal, ce serait celui-ci : écrire avec l’âme et le cœur d’une femme de 50 ou 60 ans, dans le corps d’une femme de 25 ou 30 ans.
Quelle puissance ce serait ! Vous seriez irrésistible, étrangement magnétique, visionnaire, philosophe, incollable sur les questions de l’existence et pourtant encore pleine de fougue, de désir, de naïveté féconde. Une sagesse incarnée dans la jeunesse. Une alchimie rare. Et peut-être que pour certain(e)s auteur(e)s, cela deviendra possible grâce à l’intelligence artificielle. Une IA capable de capter l’essence d’une vie vécue, de la transposer dans une voix jeune, vibrante, sans rien perdre de sa profondeur. Une IA qui pourrait répondre à cette étrange injonction : « Sors-moi de ce corps et dis-moi qui je suis.”
L’IA ne m’écrira pas. Elle ne me remplacera pas : je m’évertue à développer la mienne, et c’est déjà bien assez comme ça ! .Elle ne connaît ni mes silences, ni mes vertiges, ni mes contradictions. Elle ne sait pas ce que c’est que d’écrire avec ses tripes — qu’elles soient en feu ou en vrac, pleines de rage ou de tendresse.
Et moi, à ma manière, je m’inscris dans cette lignée — tardive, peut-être, mais viscéralement vivante. Je ne cherche pas la reconnaissance. Ce que je cherche, c’est le regard de ceux qui m’ont vue grandir grâce à l’écriture : mes proches, mes amis… et même mes chiens et mon chat.
Ce qui me lie à Colette, ce sont également ces pattes de velours qui piétinent mes brouillons, comme pour m’encourager à poursuivre, quoi qu’il arrive.
Ci-dessous, un extrait de mon prochain roman, Le Pacte de nos Mensonges. Dorothy Herd Smith est une femme d’une cinquantaine d’années. Elle a vécu — intensément, lucidement — et son regard sur le monde n’est ni doux ni amer. Sucré salé, tout au plus. j’ajouterai ceci à ma chronique matinale, nous sommes toujours les enfants illégitimes de nos personnages. Ils nous échappent, nous trahissent, nous révèlent. Ils disent tout haut ce que nous n’osons penser qu’en silence. Et parfois, ils nous ressemblent bien plus que nous ne l’avions prévu.
“Il n’y a aucune banalité dans le fait d’être ordinaire ou de ne pas l’être.
Certains drames torpillent notre existence, certaines rencontres la guérissent. Au bout du compte, tous ces évènements font de nous ce que nous sommes : des champions, des perdants, des indécis, des conquérants, des idiots parfois. Il n’en demeure pas moins que nous sommes uniques et nous savons pertinemment que notre existence sera constituée d’extras et d’ordinaires ; nous errons comme
des électrons libres gravitant autour de l’atome de la vie, cherchant à sortir du lot en dérogeant quelques règles, secrètement, subtilement, avec une détermination évolutive qui nous empêche de faire marche arrière. Je m’appelle Dorothy Herd Smith, je suis libre, indépendante, obéissant à certains principes avec désinvolture, désobéissant à d’autres avec une fougue consentie, une force presque réfléchie. J’ai une vision plutôt riante de l’existence étayée par des exemples de réussite, des moments de bonheur
simples, mais indiscutables. Des tragédies m’ont également donné rendez-vous.
Mais tout est propice à m’enseigner des leçons de vie, ce genre d’histoire que je vais vous livrer. Mais « me » raconter sans vous parler de mes rencontres avec la littérature et quelques lecteurs passionnés, reviendrait à vous parler de rien ou de si peu. Tous les ouvrages que j’ai lus m’ont ouvert les yeux ; mes poumons en grand, mon cœur en large et je crois bien que tous ces livres qui tapissent
mes étagères ou congestionnent mes armoires ont contribué à me maintenir en vie et diffuser le bonheur autour de moi.
Tous renferment des secrets, je ne parle pas de ceux emmêlés dans l’intrigue que vous déroulez au fil des mots, mais de ceux qui vous conduisent page après page vers la vérité, car, quand on lit, on découvre des pans de notre mémoire blessée. Je dédie cette histoire à toutes les femmes qui ont subi des violences, à tous ces enfants qui ont dû endurer des souffrances dans le silence… à tous ceux tenus par le secret
et les mensonges. Seuls celles et ceux qui ont véritablement aimé connaissent la douleur du vide, cette absence qui étreint et lacère l’âme. Lorsque l’absence fait souffrir, c’est le corps qui se révolte et l’esprit qui s’affole… prêt à commettre des erreurs. Mais l’amour, comprend ces égarements,
conscient que le vide peut parfois faire vaciller les plus solides d’entre nous.
Dorothy Herd Smith —
et comme dirait Somerset Maugham : “Si vous refusez d’accepter autre chose que le meilleur, vous l’obtenez très souvent”.
Le Pacte de nos mensonges, MVO éditions. 2025