J’ai décidé d’ouvrir une parenthèse sensorielle dans mon travail d’écriture, en vous proposant une série d’articles autour de ce qui m’émeut autant que les personnages que je crée : le parfum, l’image, la musique, ces formes invisibles de la mémoire qui nourrissent la littérature autant qu’elles la traversent. Nous lirons ensemble les traces d’un parfum qui murmure un souvenir, d’une image fugace qui éclaire tout un chapitre, d’une note de musique qui suspend le temps. Ce ne seront pas des essais savants, mais des promenades sensibles au cœur de ce que la littérature a de plus sensoriel et de plus intime.
Parfum d’encre
Si je devais me souvenir de mon enfance et de tous ces parfums, à la fois quotidiens et puissants, je dirais ceci. (Ces mots me sont venus en anglais, allez savoir pourquoi. Peut-être que l’été, pour moi, était synonyme de voyage en Angleterre.)
“I have a few scent memories—jam, laundry, coffee, my dad’s tobacco. In summer, my mother loved making cherry jam, and its fragrance would fill the kitchen. I remember hearing her tell my father to go smoke in the garden, but the smell of tobacco lingered (which helped put me off cigarettes). As for the laundry, the scent of cleanliness…back then there was no eco-friendly detergent, the freshness of the perfume alone made it perfect. And I smelled coffee so often that I became addicted to it.
Do we hold on to the scents that connect us to the people we love? Do they have the power to preserve those delicate, intimate moments of our past?”
Les parfums ont ce pouvoir singulier de faire surgir le passé sans prévenir. Ils traversent le temps, discrets, fidèles, insaisissables. Moi, ce sont ces parfums-là qui m’accompagnent : la confiture de mon enfance, le linge propre suspendu au soleil, le café du matin — toujours trop fort — et cette fumée grise, âpre, qui suivait mon père même lorsqu’il se taisait. Les parfums traversent le temps mieux que les mots. Ils savent, parfois mieux que nous, ce qui doit être retenu. Ce sont des souvenirs flous, mais obstinés. Des images un peu délavées, comme aperçues à travers un voile de chaleur un après-midi d’été semblable à celui d’aujourd’hui. Rien de spectaculaire, juste des sensations qui s’invitent sans frapper, et qui s’installent pour toujours.
Les auteurs classiques ne s’y sont jamais trompés. Proust, bien sûr, et sa madeleine, porte d’entrée vers un monde englouti. Colette, elle, déposait des fragrances comme on sème du trouble. Quant à Süskind, avec Le Parfum, il a transformé les odeurs en armes, et poussé l’obsession jusqu’au vertige, jusqu’à l’effroi. Précises, obsédantes, presque cruelles.
Dans Le Pacte de nos mensonges, mon roman à paraître en septembre, chaque senteur a un rôle. Elle chuchote, elle trahit, elle protège. Le parfum devient presque un personnage, avec sa mémoire, ses silences et ses éclats de vérité. Et si ce lien aux parfums avait quelque chose d’animal ? Une mémoire archaïque, tapie dans un repli de l’instinct, plus vive encore que les mots. Un flair affectif. Comme si le corps savait avant nous ce qui mérite d’être aimé, craint, oublié ou conservé…
On retrouve déjà, dans L’Étoffe du temps, le quatrième tome de ma Saga intitulée Castel Villerquin, cet attrait profond que j’ai pour les épices — leur mystère, leur chaleur, leur pouvoir d’évocation. Leur parfum agit comme un fil invisible entre les pages et les souvenirs, entre les corps et les émotions. Comme si chaque grain, chaque effluve portait une mémoire ancienne.
Cette même sensibilité olfactive traverse Le Dernier Baiser du Papillon, où les parfums marins prennent le relais : l’odeur des algues sur la grève, l’écume qui vient lécher les pieds de mon personnage principal, Ariane Parse, d’un voile salé … Là encore, c’est le parfum qui dit, qui lie, qui révèle ce que les mots taisent. Une mémoire instinctive, presque primitive, et pourtant infiniment poétique.
Sur ce, je prends congé. Les parfums qui s’échappent de ma cuisine me rappellent, sans délicatesse mais avec insistance, que l’on n’écrit jamais tout à fait le ventre vide 🙂 L’auteur que je suis doit se sustenter, nourrir l’esprit certes, mais aussi le corps. C’est une vérité triviale que les odeurs savent murmurer mieux que quiconque !
Amitiés littéraires.
Nathalie Pivert-Chalon
- Saga Castel Villerquin
Trésor de jade – Les anges du lac – Le pacte d’Indigo – L’étoffe du temps
Le dernier baiser du papillon (Editions du Panthéon)
- Le pacte de nos mensonges (MVO éditions)