Les jours enchantés ou journal d’Egypte

quatrieme de couv journal d'Egypte  2022-07-07 075338

« LES JOURS ENCHANTÉS OU JOURNAL D’ÉGYPTE »

EXTRAITS

 « À pas de chats, de poubelle et d’azur, je marche entre les linges, dressés tels d’autres murs au milieu de la rue. Partout des yeux brillants qui foncent au soleil, des femmes aux cheveux défaits, des femmes alourdies par le noir, des femmes au voile léger et qui jure avec les ombres.

 Hurghada est un labyrinthe d’immeubles en béton, pour la plupart avortés. Ici le ciment est orphelin et les fleurs et les palmiers, des survivants. Il y a du bruit, des cris, et pourtant c’est le silence qui règne ; le silence de la lumière, écrasante, triomphante.

 Par terre des bouts de fête et des vêtements, des déchirures et des sacs plastique. L’âme égyptienne est peut-être ailleurs… Dans la roche du désert, le cheveu d’or du ciel, quand le jour tombe et que mille pépites scintillent.

 Derrière les immeubles, des montagnes comme des aiguilles. A les regarder, on a le cœur coupé. L’âme égyptienne, ce sont peut-être les enfants qui courent après les chiens en faisant rire le bâton.

 Pour le moment, mon corps est un poids. J’ai beau m’asseoir dans le bleu du ciel, suivre du doigt les couleurs de la mer… La gravité est de ce monde, et je résiste, je résiste… Même le sommeil se refuse à moi, comme si j’avais perdu de ce temps que, pourtant, j’invente.

Te souviens-tu mon amour ? Toi qui parlais bien de nos voyages, des jours comme ils vont et comme ils ne vont pas… Si seulement tu étais là, toi, ma deuxième tête, mon deuxième cœur, pour me tenir compagnie.

 Jean, tu aurais su quoi faire… Tu avais le sens de la musique et des hommes. A Bruxelles, aussi, nous regagnions lentement l’Afrique, le quartier de Matonguey, là où les couleurs s’emmêlaient comme des pinceaux, formulant un étonnant contraste avec la gelée du matin… Boubou jaune, vert, bleu ; bananes plantain, manioc, ratafia, faux cheveux, faux ongles. L’Afrique, ce continent qu’on avait rêvé ensemble quand, sur la carte, on avait tant de fois traversé le Botswana, la Namibie, la Tanzanie, l’Angola… Ce long voyage de noces aussi que tu m’avais promis : Nairobi, Addis-Abeba, le golfe du Mozambique… Tous ces pays pour creuser dans ce crâne, en exhumer les trésors, fouiller dans cette terre ancienne. »

  « Je marche, je marche, vers un ciel beau comme la foudre ; si beau qu’il en est cruel ! Ce rose, ce bleu, et ces traînées de poudre blanche.

 Allons enfants du monde entier, si seulement les idiots pouvaient disparaître et les simples, réapparaître. Allons enfants du monde entier, mettons les lâches à sécher au soleil ; ils finiront bien par tomber. »

 « Ce soir je me réjouis : je vais retrouver mon petit Egyptien, assis tel un sphinx et qui veille sur la nuit. Un petit Egyptien qui maintenant saute dans mes bras, s’agrippe de plus en plus à mon cœur, avec des miaulements qui feraient fondre plus d’une livre de beurre ! Si seulement, si seulement… Si seulement l’on pouvait emporter tous ceux qu’on aime dans sa poche… Mais pour cela, il faudrait supprimer la peur. La peur, qui est à la racine de tout le mal que l’on peut se faire et faire à l’autre ; la peur, qui a bâti des civilisations, que dis-je, des empires, où ceux qui gouvernent se tiennent sur un piédestal en papier. La peur, notre maître incontesté. L’homme se relèvera-t-il un jour ? Aura-t-il le courage de vider ces corbeilles remplies de paperasseries inutiles et qui salissent nos vraies couleurs ? ».

« La tristesse est un ventre qui a faim ; je la nourris avec mes solitudes, parfois mes mots. En nageant avec mon masque, j’ai vu des pneus, des beaux poissons, des vieux cartons… C’est peut-être cela nos vies, le fond de la mer.

 Une phrase de Carlos Ruiz Zafon dans son livre « L’ombre du vent » : « Nous croyons parfois que les gens sont des billets de loterie : qu’ils sont là pour transformer en réalité nos absurdes illusions. ». C’est peut-être aussi cela la vie, rencontrer des gens pour prolonger nos illusions… Ou se donner l’illusion d’une réalité. ».

« Le soir, je quitte Oum pour Henry David Thoreau… « Walden », un livre immense qui nourrit mon sang et le régénère. Installé près d’un étang, il parle des Hommes, de sa société, du superflu aussi. Par exemple, les vêtements, quand ils ne servent pas à habiller et à conserver la chaleur du corps mais à mettre des couches et des couches sur soi, toujours plus de couches… ».

« A 17h30, la nuit tombe, une peau noire qui réveille les peurs bien que, comme l’a dit Thoreau, « Toutes les sorcières aient été pendues et qu’on ait inventé le christianisme et la bougie. A dire vrai, la nuit me rapproche de moi, du monde aussi… Soudainement nous sommes tous dans la même coque et vogue la galère… L’on fait semblant de rien, l’on se fait croire que tout est comme avant, avant la nuit ; l’on a confiance, le jour reviendra. Nous les petits dans la grande obscurité, nous continuons à ouvrir les yeux alors qu’ils se sont fermés.

 La nuit comme une solitude qui se dresse, ombre sur nos ombres, lumière sur nos clartés. Je sens alors l’amitié des Hommes, leur peau qui frissonne sous l’esprit inquiet, leur quête du mensonge pour surtout ne pas céder… ».

« Noël à Paris où je retrouve Françoise, mon ancien fief, et peut-être mes pas. Pourquoi Paris et pas Bruxelles pour fêter nos brèves retrouvailles ? Parce que la ville lumière, la ville de Jean, la ville qui a fait naître les mots en moi.

 En tous les cas, j’ai peur de retourner en Égypte ! Comme si je devais rentrer à nouveau dans cette solitude, m’installer dans cet état qui me va si bien.

 Envie d’être partout et nulle part, envie d’une marche où chaque jour me découvre à moi-même. Me revoici dans mes trilemnes : m’arrêter à Istanbul et, de là, retrouver d’autres pas ; retourner à Hurghada et peut-être à l’école, ou rentrer quelques temps dans mes pénates bruxelloises. ».

« À Paris, je cherche une âme… Où sont-elles ? Qui, ici-bas, est l’ami(e) ? La seule réponse que j’entends : mais c’est toi l’amie, l’amie que tu deviens ! Ah oui ? Bon, très bien, alors si c’est cela, si je suis mon propre chemin…

 Et je me dis aussi : Hurghada a beau être une ville artificielle qui s’est développée pour le touriste, amoureux des profondeurs marines, elle regorge d’hommes et de femmes ! Sur leur visage, je vois des yeux, et dans les yeux, une âme, quelque chose d’humain…

 Ici, rien, des courants d’air, des morceaux de phrases, une vie qui ressemblerait à une guirlande de sapin. Comme l’être humain est triste, profondément triste. À croire que la chute l’a fait tomber au fond du trou, dans les miasmes de cet orgueil qui n’en finit pas de l’aveugler et de l’attirer avec des trompe-l’œil.

 Quant à moi, j’ai renoncé à détricoter mes ombres. Elles sont là, sagement rangées dans un coin, et ce sont elles et seulement elles, les marches de l’escalier qui m’emmènent vers la lumière. Le Diable avait bien raison : il est indispensable à Dieu ! »

« En cette période de fêtes, Paris nous promet de beaux jours de pluie. 2% d’ensoleillement en décembre, une rareté paraît-il ; c’est le cas de le dire ! Moi je ne me plains pas, je suis plutôt contente de retrouver la grisaille.

 La nostalgie de la mélancolie ? Un regain d’automne ? Non, le soleil n’a jamais juré avec la tristesse. Au contraire, il est comme le sel qui fait ressortir le sucre !

 À dire vrai, un ciel bleu est aussi une menace : il évoque le vide, le vertige de l’azur, un visage sans traits. En Europe, nous avons des ciels de caractère, et les peintres le leur ont bien rendu ! Ce bleu, tout ce bleu, l’on pourrait s’y noyer… Ce bleu, tout ce bleu, comme la page blanche et que la raison voudrait déchirer ».

Une couche de plus pour lutter contre le ferment de ce monde bruyant et furieux comme dirait l’autre… Monde en sous-sol d’où montent les cris sourds et les vagissements des âmes mal nées, n’exprimant rien d’autre que des peines d’amour.

 Soudain je me demande : ferais-je, moi aussi, partie de ces handicapés de la vie qui n’ont pas d’autre subterfuge pour extérioriser leurs névroses et leur trop plein de traumas ? »

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