Nous passons une existence entière à jouer des partitions, endosser costumes parfois trop grands, parfois trop petits, de la mauvaise couleur, inadaptés à la saison de la vie ou au contraire aussi ajustés qu’une combinaison d’astronaute
Je ne reviendrai pas sur les années passées à enfiler ma tenue de maman de ma propre maman, ni sur la difficulté à reendosser ensuite la panoplie de fille de, une fois orpheline, simplement je soulignerai la difficulté qui est mienne à trouver ma place et m’y installer confortablement et durablement, là où ma chère maman a enfilé l’une après l’autre les tenues que la vie lui a prêtées, sans broncher
Mardi, j’ai vécu un moment rare, celui d’une soutenance de fin d’études, celle de mon fils
J’avais en face de moi un jeune homme, à la déroutante aisance orale, maîtrisant son sujet, potassé depuis deux ans et échangeant avec les sociologues qui composaient le jury
Et, tout en restant pleinement consciente qu’il formait une seule et même personne avec le petit blondinet en train de peindre des œufs de Pâques avec sa grand-mère, j’ai réalisé que j’avais bel et bien en face de moi un adulte et qu’il porte fort bien ce costume
Aujourd’hui, son grand-père aurait eu 93 ans, il aurait sûrement été fier du petit avec qui il regardait Questions pour un champion et qui répliquait crânement « Moi aussi, j’avais la réponse… dans ma tête »
Aujourd’hui, je pense au jeune homme qu’a été mon père, à la difficulté à endosser une panoplie, à la cape d’invisibilité qu’il a portée toute sa vie, à ma quête de vérités abritées dans ses silences
Aujourd’hui, j’enfile le costume de fille de, même s’il n’y a plus personne au bout du fil, la passagère de la photo n’est plus là non plus, ils sont éternellement beaux dans leurs habits de papier