Ce projet est né d’un désir simple mais profond : celui de parler de l’enfance. Non pas seulement la mienne, mais celle que j’ai croisée, observée, devinée parfois, au détour d’un voyage, d’un regard, d’un silence. L’enfance comme territoire universel, fragile et puissant, où tout commence — les rêves, les peurs, les élans. Il y aura, ici et là, quelques passages plus personnels. Des souvenirs qui remontent, des émotions qui s’invitent sans prévenir. Mais ce récit n’est pas centré sur moi. Il est tourné vers eux, les enfants du monde. Ceux qui jouent dans la poussière, ceux qui regardent passer les avions, ceux qui apprennent sans école, ceux qui rient sans raison. Ceux qui, par leur seule présence, éclairent les lieux les plus reculés. À travers ces fragments, je veux leur rendre hommage. Témoigner de leur force discrète, de leur poésie brute, de leur manière unique d’habiter le monde. Car l’enfance ne se raconte pas toujours avec des mots. Elle se devine dans un geste, un regard, une galette partagée.
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Au détour d’un voyage, je surprends des visages — ceux de femmes voilées de sourires discrets, vastes comme l’hospitalité. Elles saluent sans un mot, comme si le vent lui-même portait leur bienvenue. La Cappadoce s’élève, vallée enchantée aux cheminées de fées, aiguilles de pierre dressées vers le ciel, telles des prières figées dans la roche. Derrière les murs d’argile, fragiles comme des souvenirs, la fraîcheur s’installe sur les tapis, tandis que l’air chaud s’infiltre, porté par les premiers rayons du jour. Un thé fumant nous attend, posé sur une table bancale. Je l’observe — l’enfant, celle qui a mon âge, dont le regard cherche le mien et le comprend sans mots. Elle voudrait ma robe légère, et moi, j’envie son monde : ce lieu béni où les dieux semblent avoir laissé leur empreinte. Sa mère, habituée aux passages, nous conte l’histoire des pierres, des grottes, des hommes. Mais je n’écoute qu’à peine. Je suis ailleurs. Amina — c’est ainsi qu’elle s’appelle — me tend une galette chaude, comme un trésor. Je la romps doucement et lui propose de partager. À cet instant, je ne suis plus la voyageuse, mais une enfant, qui offre le pain, le silence, et une amitié née du hasard, parfumée d’Orient. Nous nous sommes quittées sans parler. Nos yeux, eux, se sont promis un “à bientôt”. Le temps a passé. Et un jour, au détour d’une lecture, j’ai cru revoir ton visage — mais c’était celui d’une autre enfant, qui, comme toi, rêvait d’un ailleurs, un peu différent, moins contraint. Je l’ai enviée. Comme je l’ai enviée… cette petite fille qui n’allait pas vraiment à l’école. Ce que j’ignorais, c’est que sa vie était sa salle de classe, et que ses journées s’étiraient bien au-delà des miennes. Je me lève, le thé refroidi, la galette partagée, le soleil déjà haut. Le moment s’efface doucement, comme une entaille légère dans le sable trop sec pour la retenir. Je me retourne une dernière fois vers cette enfant aux yeux qui savaient tout dire. Mais elle n’est plus là. Déjà disparue, comme emportée par le vent et les murmures de la vallée.
Les enfants du monde Projet éditorial en cours.