Je suis très heureuse de vous présenter ici les premières pages de mon roman, La promesse du cerf-volant. Je vous souhaite une très belle découverte de cette famille Costa que j’aime tant. Bonne lecture. (et si l’envie vous prend de partager vos émotions de lecture avec moi, ce sera avec très grand plaisir. N’hésitez surtout pas !)
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Chapitre 1
UN SOIR
Les bruits se sont faits murmures.
Son corps oscille en mouvements lents, transformant chacune de ses respirations en ondulations douces et apaisantes. Elle perçoit les paroles chuchotées à son oreille, la caresse le long de son bras, la tendre pression sur sa main. Elle sent la prochaine vague, la laisse gonfler et y plonge sans résistance. Les chuchotements se faufilent dans son esprit, la maintiennent éveillée.
Les mots n’ont plus d’importance.
Elle s’accroche à cette voix grave, voluptueuse, rassurante.
Doucement, les vagues se rapprochent.
Plus intenses.
Plus douloureuses.
La violence de la dernière contraction la surprend, lui coupe la respiration, la fait suffoquer.
La voix la soutient, la protège, la retient de se noyer dans la douleur.
Le dernier effort, la dernière plongée.
Enfin, le cri.
Clair, puissant.
Plein de vie.
Le premier souffle de Thomas.
Chapitre 2
UN MERCREDI
La toux vint la première, comme chaque jour, rauque, profonde et difficile. La montée des mucus, puis les crachats, lui succédaient toujours. Pour expulser les sécrétions emprisonnées dans ses bronches et ses poumons, le corps de Thomas se contractait. Il se tordait, se consumait de l’intérieur, puis se libérait, pour quelques secondes de toux et de crachements. Et cela recommençait.
Les convulsions. Les contractions. La brûlure.
La toux et les crachements.
Thomas ne put retenir le gémissement, une plainte sourde arrachée à sa volonté. Posées sur son dos, les mains de son grand-père accentuèrent leur douce pression. La voix grave reprit sa litanie. Il se laissa bercer. Chaque jour, les mots susurrés à son oreille le rassuraient. Chaque jour, ils l’empêchaient de sombrer et de capituler devant les assauts de la mucoviscidose, cet hôte arrogant et insatiable qui avait pris possession de son corps, avec lequel il cohabitait depuis sa naissance et qui, à l’occasion, optait pour un statut de propriétaire. Ses offensives contraignaient alors Thomas à se retrancher à l’hôpital. Les contre-mesures des soldats de l’équipe médicale s’étaient jusqu’à présent révélées efficaces mais ces luttes le laissaient dans un état d’épuisement extrême. Le retour à la maison était brumeux. Sa mère et son grand-père se relayaient alors à ses côtés.
Dans les premiers jours, le brouillard les habillait de coton. Ils étaient doux. Au toucher, quand ils caressaient la peau meurtrie de ses bras. À l’ouïe, quand ses yeux refusaient de s’ouvrir et qu’ils lui murmuraient leur amour. Au goût, quand ils s’évertuaient à le ramener à la vie à grand renfort de ses plats préférés. Puis le brouillard s’évaporait. Leur persévérance le faisait fuir. Son univers redevenait net. Le mucus acceptait de nouveau son état de locataire. Jusqu’au prochain assaut.
Il ferma les yeux à l’arrivée de la nouvelle vague et la laissa prendre possession de ses muscles.
Les convulsions. Les contractions. La brûlure.
La toux. Les crachements.
Une nouvelle plainte, toujours aussi sourde, de rage cette fois-ci. Les bras l’enveloppèrent dès que la crise fut passée, dès qu’ils furent certains, son grand-père et lui, qu’il n’y aurait pas de nouvelles vagues.
— C’est fini, Tom. C’est fini pour aujourd’hui.
Les derniers murmures de la journée. Comme chaque jour, Thomas en ressentit un petit pincement, dans son ventre. Au-delà de la douleur qu’elles imposaient, les séances quotidiennes de kinésithérapie respiratoire lui offraient un moment de complicité avec son grand-père. Tantôt marquées de larmes, tantôt de rires, et toujours empreintes d’une grande tendresse, ces séances lui étaient précieuses. Leur routine, peaufinée au fil des ans, avait métamorphosé des gestes techniques et violents en des mouvements lents et délicats. Une danse, gorgée de souffrance, exécutée avec amour.
Une dernière et délicate pression sur ses épaules signala le départ de son grand-père, qui quitta la chambre aménagée en salle de soin sans autre bruit qu’un frottement de chaussettes. Thomas attrapa le ballon et s’y étendit, arquant son dos pour ouvrir sa cage thoracique. Il ferma à nouveau les yeux et se plongea dans la mélodie de son souffle, l’imaginant irradier jusqu’à la plus minuscule cellule de son corps. Inspirer. Expirer. Inspirer. Ne pas tousser. Puis, un dernier souffle, long et profond. Vide de toux.
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RV sur mon site web isabelledornic.com pour en savoir plus.