EXTRAITS DU RECUEIL « ATTENTION FERMETUREAUTOMATIQUE DES CŒURS, DEPART IMMINENT » et du « CHEMIN »
PAS A PAS À PARIS
Je descends dans ton corps au creux d’un vieux quartier. Mes yeux comme des billes sorties d’un sac troué, et qui roulent, roulent jusqu’à se perdre au fond d’une ruelle, là où l’étroitesse devient menaçante, promesse de secrets.
Je cherche ton cœur, je cherche ton rire, les idées que tu as, les rêves que tu n’as pas. Ta peau grise, bientôt noire, a perdu ses éclats, et de bleu, et de rose quand le soir, tu t’assoupissais. Pourtant je t’aime encore, je te vois dans tes ombres ; le reflet de tes larmes qui font briller ma route. Tes bruits, ils sont en moi, comme la chanson du sang. Tes rumeurs, des histoires que les murs ont laissé glisser…
J’aime tes encombrements, le vide de tes arbres, la façon que tu as de faire croire en l’amour. J’aime tes scènes sans les actes, tes dialogues de sourd, quand celui qui t’habite crie les mots de la rue. Tes maladies honteuses, tes dévouements sans fard, cette horrible foutaise, cette illusion des jours…
Jamais fatiguée quand je marche sur toi, que j’ouvre ton enveloppe, que je dévore tes peaux. Jamais, non, jamais lassée de m’offrir à tes portes, de traverser tes guets. Du bas de tes pavés je contemple le passé, l’hier quand les moulins dominaient les collines ; l’hier quand il y avait un chat en haut d’un réverbère.
Tes arrondissements, comme des petites fenêtres que j’ouvre au gré des pas ; des carrés de magie, des marelles de couleurs, jamais le même monde, jamais le même visage. Tu l’ignores sans doute mais j’ai dû en avoir, des âmes, pour te comprendre un peu… Ou peut-être, une âme, une seule ! Un peu ridée, un peu blanchie et qui voudrait effacer les souvenirs… Un peu lourde aussi de ne rien prendre à la légère.
Qu’importe. Tu es là, et de nouveau je me promène en toi… Me coulant loin des règles et des miens qui m’attendent ; riant telle une fugue qui tombe du clavier. Je musique, je célèbre la liberté des pas ; ou plutôt l’illusion puisqu’ils reviennent à Toi. Je me danse, je me love contre tes labyrinthes, m’accrochant à tes vagues que font les escaliers, me blessant aux sirènes qui volent mes pensées.
Tes monuments, tes pièces montées, je les ignore furieusement ! J’économise mon temps. Je préfère tes points de croix, tes fragiles espaces, là où va battre mon cœur au rythme d’un rapace. Tes places dorées, tes tableaux vivants, je les écarte d’un œil vif ! Je préfère l’échancrure, les rognures à la géométrie, les rondeurs, les courbures, aux lignes déclarées.
Tant pis pour tes éclats. Ta vraie lumière est ailleurs, loin des routes argentées et des boulevards hurlants. Alors oui je m’enfonce au creux d’un vieux quartier… Là où les murs témoignent, mélangeant les époques ; là où s’allume la voix des enfants qui jouent en bas. Alors oui, j’ouvre les portes et les fenêtres et les tombes oubliées sous les feuilles… Et je goûte d’un doigt à tout ce que tu es : le passé, presque timide, qui fissure le présent ; le passé qui brise le temps et s’est rendu à l’Éternel.
PASOLINI
Pasolini
La chute des murs
Les failles
Les corps comme des lames
Tu renais dans la tyrannie
des quartiers pauvres et bêtes
où la mer est brillance
Tu renais dans les livres
les mots ridés de ta langue
les Rome les Naples
et ses voiles de pierre
Tu renais dans le souffle
quand la poésie a tout dit
et ton œil, révélé
Tu renais
Pasolini
Comme une gifle à ton âme
L’évangile du saint Nu
Un cri perdu dans le sable
La bouche assassinée.
EN CHEMISE DE MURS
En chemise de murs
Ils se sont levés
le ventre dur de pierres
et de jours avariés
Presque, oui, presque dans leurs yeux
un reste de brillance
quand avant l’âme vivait et dansait sous la lune
Ils se sont levés
vers les nuits tombantes
dans les rues pleines de cris
que seul entend le cœur
Sous leur crâne
des fissures à la place des idées
Sous leurs mains
des moignons ou des absences guindées
Depuis longtemps déjà
des visages oubliés par les larmes
une peau d’arbre sec et mort sans combat
Ils se sont levés
comme les semaines roulent
sur les hommes et le monde et l’univers entier
Au loin
une petite voix
un grincement des dents
Peut-être un dieu caché qui avait trop rêvé.
SARAJEVO OU PAUL MARCHAND
Allons-y dans les cours et les arrières-scènes
Allons siffler en guerre à ces silences qui trouent
J’ai la parole barbare et l’œil d’un boxeur fou
Le poing dans le miroir
Le sang pour dénoncer
Allons-y dans les murs qui font monter les cris
Et les lois en sourdine qui cachent la voie blessée
Chassez le naturel il revient en sursaut
Beau comme un homme surgit
dans le cœur de toute chose
J’ai l’ivresse qui s’endort et le sobre insoumis
Au milieu des ordures je ne me coucherai plus
Plutôt cracher au ciel que baisser le regard
Plutôt l’âpre chemin
que le doux pas du vivre.
AMANTS DE MONTREAL
Amants de Montréal
et des rues sans frontières
Criez par-dessus-bord
vos indicibles dons !
Que mon cœur crache du sang
Mon pays est d’hiver
l’antre où tous les désirs
tournent les murs en chair
Amants de Montréal
Mes pas ont mal de vous
Et je gémis au sol
qui s’agrippe à mes pieds
Les rebonds de soleil
font des ombres à mes rêves
crachats de sueur froide
comme le coulis du temps
Amants de Montréal
Le royaume a ses chants
Entre collines et fleuve
je choisis tous les parcs
Mon corps déjà embarque
aux rives amérindiennes
quand les musées expient
et que les photos pleurent
Amants de Montréal
L’hiver est un printemps
de neige et de rires fous
qui referont l’avenir
Place aux cafés du coin
aux dépanneurs de bière
Je touche à l’infini
et mon nom n’est plus qu’un
espace aux arbres verts
et aux flocons d’enfance.
EXTRAITS DU CHEMIN VELEZAY – ASSISE
« Le chemin…Que l’on commence et que l’on ne finit jamais, qui écarte les sillons, ces veines trop droites, trop pures, trop comme il faut, pour faire véritablement battre le cœur. Le chemin, indicible parole qui s’offre à nous, nous chuchote ses inavouables désirs, ses rêves tombés à terre, mêlés à la poussière d’un temps paresseux.
A Vézelay, je marche déjà, immobile mais joyeuse de ce pas invisible. La terre peut bien attendre et le printemps aussi. D’ailleurs, les oiseaux chantent sans se soucier des Hommes. Que pourraient-ils dire à ces bipèdes trop grands, qui écrasent les silences comme on coupe dans une phrase ? Que pourraient-ils siffler à ces oreilles trop petites, qui s’effraient de tout vent ou d’un insecte qui pique ?
Les sœurs au bal masqué murmurent telles des ombres mais la lumière est là, dans la prière du soir.
Le chemin… Vaste épiderme sans frontières où se mêlent les âmes. Je ne suis plus un corps mais le corps tout entier, celui du Créateur qui, chaque jour, recommence, s’inspire du moindre sens pour écouter encore… Car la vie est un son que l’on voudrait entendre, une note au creux d’un arbre ou accrochée aux herbes. La Vie qui ne sait pas et qui ne connait rien, qui se contente de naître à chaque instant fragile. La Vie que l’Homme ignore tant qu’il s’ignore lui-même, sourd à tous les appels qu’il prend pour des sirènes. »
« L’image d’Henriette me revient en mémoire. Une veuve de 83 ans, assise sur le banc pour prendre le soleil dans la cour de sa ferme, avec son vieux chien. Henriette qui, très simplement m’invite à prendre le café. Cela la changera de ses mots croisés, me dit-elle. Une chaleur monte dans mon ventre. Alors c’est donc ça l’Amour ? Une tasse de café partagé avec l’autre ? »
« Le Morvan, pays de Vauban, pays du seigle, pays des nourrices, pays des Gaulois et des galvachers, terre de la Résistance… Le Morvan, pays des durs aussi. « Durs comme le granite, qui fait le paysage » me prévient Jean Robert. Jean Robert, le « marin d’eau douce », responsable du club nautique au lac des Settons. Jean-Robert ou une journée de pluie, toute en confidences, garnie de brioches, pizza, et rhum pour faire monter la température. Jean-Robert où une plongée au fond d’un cœur…
Peu importe, je m’obstine à frapper aux portes et celles-ci continuent à s’ouvrir… Un jeune maraîcher, venu tenter l’aventure sur ces terres sauvages et qui me propose l’antre d’une tiny-house, avec fenêtre sur un ciel étoilé. Une famille du nord qui, tous les dix ans, change de lieu et de métier afin de multiplier les vies dans une Vie.
Orpheline du chemin, je goûte à la vie moelleuse des foyers : des petits morceaux d’humanité, échantillons d’une existence qui me construisent et qui donnent à ce chemin des reliefs, des formes inattendues. Jusqu’à présent, je parlais sur la pointe des pieds ; et me voici qui, en parlant à des inconnus, trouve ma Voix.
Rencontre avec Marie. Marie qui ouvre toutes ses portes comme elle ouvre la porte à la simplicité, au bon sens, à l’Enfance aussi, vigile de l’humanité. Je me pose une journée chez elle. Les mots débordent. Il me faut leur donner l’espace, le temps ; le carré et le cercle… Les mots, qui resteront chez Marie.
Rencontre avec Bruno et Gilberte, un couple qui s’aime, malgré la maladie d’Alzheimer, qui grignote le cerveau de … Un couple solide et beau comme la montagne, que l’on peut voir au loin, en perspective, et qui, le plus souvent, se laisse deviner derrière la brume : le Mont-blanc. Dans cette ancienne ferme où la moindre poussière est une particule d’amour, la douleur et la joie flirtent ensemble, se jaugent, tantôt amies, tantôt ennemies. Gilberte voudrait faire la cuisine, faire le ménage, faire la conversation… Gilberte voudrait mais elle piétine, et dans son regard qui croise le mien, je me brûle le cœur.
Et puis Pérouges, chez Louise, en Béthanie, où tout bouge, tout s’ouvre dans mes tripes. Jésus est là, bien vivant sur la croix, et qui m’invite à lui confier mon chemin. Jésus qui ne manque pas d’humour… « En Béthanie, me chantonne Louise, on boit du café chrétien, avec de plus en plus d’eau au fur et à mesure que la journée passe ! ».
« J’irai par tous les vents et par tous les soleils, l’âme ouverte telle des tripes, qui pendent à la devanture du boucher. J’irai par toutes les fleurs et par les ornières boueuses, le cœur au ciel et la chair mordante. J’irai, j’irai ! J’irai sans savoir où je vais puisque Assise m’attend, tels les bras d’un Amour. « La solitude est sainte », Vigny l’avait révélé. La Solitude ou l’âme-jumelle d’un autre état : celui que l’on prononce du bout des lèvres parce que l’on n’ose à peine y croire, la Plénitude. La solitude, partout présente, qui, contre toute attente, nous relie au cœur du monde : là où les Hommes se parlent vraiment, là où le Divin nous porte, bien au-delà de nos différences, de nos divergences, de tout ce qui nous disperse. Dans mon corps, des éclats de verre. Tout ce qui se tenait, fragile échafaudage, s’effondre. C’est peut-être ce qu’on peut appeler une « Renaissance », un « Passage », celui de Pâques.
L’immobilité est l’ennemi du bien et surgit ce « je ne sais quoi », qui s’ébranle à l’intérieur de moi. Une grâce de plus, comme cette lumière de cuivre qui se pose sur le soir. »
« Sur le chemin, « Je est un autre ». L’altérité consacre l’identité. Hors du chemin, ni l’altérité, ni l’identité ne trouvent écho. La différence, ma différence, résonne dans le vide. Elle n’a ni frère ni sœur, seulement ses peurs, qu’elle déguise dans des habitudes résignées, des gestes appris par cœur, comme ouvrir et fermer les rideaux.
Dans son roman « L’Espionne », Paulo Coelho fait dire à Mata Hari : « Quand nous ne savons où la vie nous mène, nous ne sommes jamais perdus. ». Et je me console alors en pensant à l’immensité d’Aujourd’hui. Marées ombrageuses, bris de lumière, Tout est possible au confluent des heures… ».