Voyeurisme. Voilà le mot qui résume tout.
Quand le CEO et la DRH de la société américaine Astronomer sont attrapés en direct par une caméra, manifestement dans un moment d’intimité, que des millions de personnes relaient la scène, s’en moquent, s’érigent en juges, spéculent, tranchent, décident à la place des intéressés, prennent parti pour l’épouse, s’offusquent bruyamment… Qui sont-ils pour se permettre cela ? Des juges de la bonne morale ? L’éthique incarnée ? Ou juste des voyeurs, bien à l’abri derrière leur écran, ravis d’avoir leur part de scandale ?
Et là, il faut le lire pour le croire : la BBC, dans un monde où les urgences réelles, les massacres et les guerres font rage, envoie une notification Breaking News pour annoncer, au beau milieu de la nuit, la démission du PDG. Vraiment ? C’est ça, le flash d’actualité en 2025 ? Il ne se passe donc rien de plus grave sur la planète que deux adultes surpris dans une étreinte équivoque pendant un concert de Coldplay ?
La déferlante de pression sociale de ces derniers jours a franchi tous les seuils du supportable. Ce type de harcèlement, amplifié par les réseaux sociaux, peut mener à des drames irréversibles, jusqu’au suicide. Confrontées à cette violence numérique, les personnes visées n’ont eu d’autre choix que de disparaître : suppression de leurs comptes, silence contraint, fuite. Mais au fond, qui sont ces justiciers autoproclamés ? N’ont-ils jamais menti, triché, trompé ? N’ont-ils jamais joué double jeu, aimé deux personnes à la fois, traversé des zones grises de leur vie intime ? Sauf qu’eux ne l’ont pas fait sous les projecteurs. Pas en “ kiss cam ”.
Pourquoi les gens se mêlent-ils de la vie des autres ? Est-ce pour se sentir supérieurs, pour combler le vide de leur propre existence, ou pour se distraire de leurs propres lâchetés ? Peut-être bien que cette histoire se serait réglée, entre conjoints, à huis clos, avec ou sans pardon, mais loin des regards. Peut-être même que c’était plus compliqué qu’un simple adultère. Mais non. Le tribunal enragé du Net en a décidé autrement : exhiber, humilier, disloquer. Briser des familles à coups de honte publique. Forcer à des solutions extrêmes sous le poids d’un regard – lâche, tapi derrière un mobile ou un écran – qui juge, condamne, lynche.
Et dans cette grande messe de l’indignation, les moralisateurs du dimanche, les grenouilles de bénitier, les vierges effarouchées, rivalisent dans les condamnations. À qui mieux mieux dans la surenchère, chacun brandit sa vertu comme une torche, bien content de se réchauffer au bûcher des autres.
Ce regard, c’est celui d’une société malade. D’une société voyeuriste, sadique, perverse, qui prétend défendre la morale alors qu’elle piétine l’éthique. Le tribunal du Net ne cherche pas la vérité. Il cherche un coupable. Un lynchage symbolique pour se sentir lui-même propre.
Et pendant ce temps, les JT emboîtent le pas, les talk-shows s’en délectent, les tweets s’enflamment. Et les “experts en dignité conjugale” pullulent. Comme si le cœur humain était une affaire publique. Comme si l’intimité ne valait plus rien une fois livrée à la lumière crue d’un smartphone.
Ce monde trash donne la nausée. Ce monde qui juge sur des apparences, qui calomnie sans savoir. Une scène – un simple fragment de réalité en somme – devient preuve absolue, condamnation immédiate. Aucun recul, aucun contexte, aucune retenue. Juste la rage de faire mal, et la jouissance de regarder quelqu’un tomber.
Un “live” a mis en lumière un adultère supposé. Mais ce que vivent des milliers (voire des millions) de gens, dans la douleur, dans le silence, est devenu ici un spectacle. Une roulette russe diffusée en haute définition. Et la foule a applaudi, et largement partagé. Comme si ce drame leur appartenait.
Mais la vérité, c’est que ceux qui jettent la première pierre sont souvent les plus compromis. Ceux qui vivent des doubles vies, des amours parallèles, qui ont des enfants hors mariage et mènent une double vie familiale (faut-il rappeler qu’un célèbre président l’a fait ? Mais lui, paraît-il, il y a prescription – ou indulgence républicaine). Ceux qui se donnent bonne conscience en condamnant à grand bruit ce qu’ils pratiquent en secret.
Ce couple est devenu un bouc émissaire. Non pas parce qu’il est plus coupable que les autres, mais parce qu’il n’est pas anonyme. Parce qu’il “représente” quelque chose : le pouvoir, l’argent, un statut social, une forme de réussite qui, aux yeux de certains, mérite d’être punie. On s’en prend toujours plus violemment à ce qui brille.
Le lynchage n’a rien à voir avec la morale. Il est un exutoire. Une manière de faire payer aux autres la frustration et l’envie que l’on porte en soi.
Faut-il, pour autant, rouvrir les dossiers de tous ces gens qui jugent ? Faut-il les filmer aussi, un soir de faiblesse, un regard échappé, un baiser volé? Non. Car ce n’est pas le but. Le but n’est pas de se venger, mais de rappeler une chose :
Ce n’est pas la scène qui est honteuse.
C’est la meute.
Et tant que cette meute existera, armée de ses hashtags et de ses jugements instantanés, aucune vie ne sera à l’abri. Il suffira d’un faux pas, d’une mauvaise lumière ou d’un cadrage malheureux. Et la guillotine morale du Net tombera. Encore. Et encore. Après tout, comme le dit si bien François de La Rochefoucauld : “ L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. “
B. I
P.S. Et comme toujours, le monde s’est empressé d’en faire une promo. Agences de voyages, cabinets d’avocats, coachs en crise… même IKEA Indonésie a surfé sur l’affaire. Rien ne se perd, tout se recycle. Même l’humiliation.
Illustration par ChatGPT qui se serait volontiers auto-rebaptisé pour l’occasion en “ Cheat- Gépété”