Un auteur, un secret (4): Charles Dickens et le roman “foule”

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10 romans, environ 2500 personnages: ainsi peut on résumer en chiffres l’oeuvre de Charles Dickens (1812-1870), le maître incontesté du “roman foule”. Le “roman foule” (crowded novel) désigne une forme romanesque caractérisée par un grand nombre de personnages, de lieux et d’intrigues secondaires. Taman Asli, avec ses 102 personnages, s’inscrit dans cette tradition, tout comme nombre de séries actuelles. Mais comment construire un “crowded novel” sans perdre le lecteur et quel en est l’intérêt ? C’est le secret du jour…

L’organisation des personnages dans Taman Asli.

Un récit à la fois si flamboyant et si intime… (Babelio)

Les personnages principaux (3) : Alastair, Noor et Damien

Ces personnages se détachent progressivement des autres personnages pour devenir les protagonistes du roman. Leur personnalité se complexifie au fur et à mesure de l’action, à travers les rencontres et les situations, jusqu’à donner l’impression au lecteur qu’ils sont très proches de lui (processus d’identification)

“Les personnages secondaires sont tous criants de vérité” Babelio

Les personnages secondaires “principaux” (5-10) : Andrew, Leïla, Nerel, George, Marie-Chloé...

Ce sont des personnages qui gravitent autour des personnages principaux et qui ont une influence directe sur leur histoire, qui déterminent leurs décisions et ont un impact direct sur les événements du roman. Ce sont des personnages qui se révèlent au fur et à mesure du roman, gagnant de l’importance et que l’on découvre beaucoup plus complexes qu’il ne semblaient l’être à première vue, jusqu’à faire de l’ombre parfois au héros et à l’héroïne du roman.

“Taman Asli est une jungle de personnages dont aucun n’est secondaire” (Babelio)

Les autres personnages secondaires (une vingtaine) : Irène, Vass, Cédric Collard, Latifah Shiah, Eric Tang, Sun Lin Tang…

Ce sont des personnages récurrents dans le roman, dont l’importance ne semble pas manifeste à première vue.
Parfois comiques, parfois tragiques, ces personnages influent indirectement l’action et les décisions des personnages. Ils occupent généralement une ou plusieurs scènes d’un ou deux chapitres seulement. Leur rôle est la plupart du temps d’apporter un éclairage nouveau sur l’histoire, de par leur fonction chorique (qui se fait une caisse de résonnance des sentiments des personnages, comme Latifah), prophétique, quand ils annoncent un malheur ou une tragédie (Vass) ou par effet de miroir, pour renvoyer au personnages principaux la confusion de leurs sentiments et les autres choix qu’ils auraient pu faire (Azahar Shafi, Cédric Collard et Safeera entre autres)

Le lecteur peut oublier ces personnages au fil du roman, mais se souvient d’eux quand ils réapparaissent car leur présence et leur temps de parole sont suffisamment importants. Bien qu’ils aient plusieurs facettes à leur personnalité, ils sont un peu plus stéréotypés que les précédents: ils apparaissent peu mais leur apparition et leur personnalité doit marquer le lecteur pour qu’il se souvienne d’eux.

Chacun saura reconnaître un part de lui même chez les différents et nombreux personnages… (Babelio)

Les personnages en toile de fond (une cinquantaine) : Nabila Fairbanks, Rozzi Sondhoo, Le commandant Laffont, Lucienne, Lorraine de Hennequin, Les loubards du métro, Serge Dacier etc…

Ce sont les plus nombreux. Ils n’apparaissent en général qu’une fois dans le roman, et le lecteur peut glisser dessus, comme il glisserait sur un élément de décor. Il n’est pas important de les mémoriser. Comme ces personnages ont très peu de dialogue, ils sont très stéréotypés pour pouvoir être identifiés dans le dialogue immédiatement sans avoir besoin d’être présentés ou décrits, à l’instar de Lucienne, la tenancière parisienne d’un bistrot de Montmartre: “Qu’est ce que je lui sers à la dame?

Quel est leur rôle?

  • Donner une impression de réalité. Ce sont ce que Dickens appelait des “silhouettes sociales” (social figures) en toile de fond, commerçants, collègues, rencontres fortuites, loubards de rue, que les personnages principaux croisent au cours de leur histoire, comme le lecteur dans la vraie vie. Ils contribuent également à la représentation d’une société, avec sa diversité, ses contradictions, ce qui donne au roman une dimension de satire sociale. Pour accentuer cette impression de réalité, certains de ces personnages sont des personnes réelles ( Kristin Scott Thomas, Jacques Martin…) ou qui évoquent fortemment des personnes réelles (Serge Dacier, Philippe du Zufluchstein, l’écrivaine Anne Arno…)
  • La multitude incarne la complexité les fractures, les contradictions, les dangers du monde dans lequel les personnages principaux évoluent. Ainsi, ce type de personnage est très courant dans les séries actuelles (les chroniques de Bridgerton par exemple)
  • La multitude de personnages dans un lieu (Londres chez Dickens, la Malaisie de Taman Asli) permet de faire de ce lieu un personnage à part entière, plein d’énergie vitale.
  • Chaque personnage interrompt l’action ou la précipite, accélérant ou ralentissant le rythme narratif, ce qui permet à l’auteur de faire des pauses, des incartades humoristiques dans l’intensité dramatique ou au contraire de l’augmenter.
  • Chaque personnage apporte un éclairage de quelques instants sur l’action ou les personnages principaux, permettant de multiplier les points de vue et éclairer les non dits. Pour en revenir à Lucienne: “C’était une rupture amoureuse, ça“, commente-t-elle alors qu’elle observe Noor et Azahar.

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