Pourquoi pleurer nos morts – Extrait Essai sur le refus du départ

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Le mois d’octobre est une invitation. Temps pluvieux et froid, les feuilles rousses roulent dans les bourrasques. C’est la fin de l’abondance. Mais octobre, c’est aussi le mois des revenants, des fantômes, des morts qui refusent de disparaître. De la Toussaint en Europe au Día de los Muertos au Mexique, en passant par les célébrations en Haïti, le 31 octobre semble ouvrir une porte invisible pour le commun des mortels. Alors, les auteurs et les artistes inventent et réinventent ces passages vers la fin et ces mystères.

1. Frankenstein — la révolte contre la mort

En 1818, Mary Shelley publie Frankenstein ou le Prométhée moderne. La référence mythologique donne le ton. Le docteur Frankenstein, après la mort de sa mère, cherche à défier la mort elle-même en donnant vie à une créature. Cette dernière est l’image de notre désir de prolonger la vie, de ne pas accepter la fin. Mais ce désir entraîne aussi la peur de ce qui peut naître de notre propre orgueil, une créature monstrueuse.

2. Dracula — l’immortel qui maudit la vie

Inspiré du personnage historique de Vlad l’Empaleur, Bram Stoker crée Dracula, un personnage immortel mais condamné. À travers Dracula, on voit que vivre vraiment ne réside pas seulement dans le temps, mais dans le rapport aux autres, à la famille, au sens. Vivre sans fin, c’est parfois être déjà mort au sens profond du mot.

3. Des monstres et des machines

Aujourd’hui, les monstres de Shelley et Stoker semblent trouver des échos dans les laboratoires, les programmes de robotique, les recherches de cryogénisation ou de téléchargement de la conscience. L’immortalité qui faisait peur hier devient objet de science.

Isaac Asimov, par exemple, imagine dans L’Homme bicentenaire un robot, Andrew, qui apprend les émotions, l’art, le lien aux humains — et qui demande finalement le droit de mourir. Il montre un paradoxe : parfois, ce n’est pas nous, les mortels, qui sommes les mieux placés pour savoir ce que la vie vaut, ni pour comprendre pourquoi la fin peut être ce qui rend le voyage précieux.

Pleurer les morts, raconter des monstres, imaginer des machines immortelles… Tout cela nous ramène à la finitude humaine. Ce n’est pas un défaut : c’est ce qui donne du goût aux jours, ce qui pousse à créer, aimer et se souvenir. Octobre, avec ses ombres, sa pluie, ses feuilles mortes, nous le rappelle : la fin est notre partage commun, et peut-être aussi ce qui nous rend humains. C’est donc une manière d’exprimer notre peine, notre mortalité, cette faiblesse que nous partageons tous mais que nous tentons par divers moyens de contrer. Souvenons nous de L’Étranger, Meursault ne pleure pas, et c’est précisément cette indifférence face à la mort qui nous renvoie à notre humanité : pleurer, c’est reconnaître la finitude, c’est exister pleinement dans le temps qui nous est donné.

 

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