Les saisissements de l’âme !

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Correspondances extraordinaires

 

Les murmures de l’Âme

 

Lorsque j’établis une correspondance, ce n’est pas un monologue, mais un dialogue. Cela implique de se libérer de ses préjugés, de ses jugements hâtifs, et de faire de la place en soi pour accueillir la parole de l’autre dans toute sa richesse et sa complexité. Pour ce faire, il est essentiel de cultiver un espace intérieur accueillant et de faire taire le tumulte de nos pensées.

Une expression claire, une écoute attentive transforment nos correspondances en de véritables voyages intérieurs, source d’inspiration et de transformation née de l’échange réciproque.

Il ne peut y avoir de correspondance si nous nous focalisons uniquement sur ce que l’on souhaite exprimer et si nous filtrons les seules réponses qui nous conviennent.

Or, nous énonçons sans arrêt, nous parlons sans cesse, nous demandons continuellement, nous prions même avec ferveur, mais nous n’écoutons pas, nous ne concédons rien. Nous exigeons sans rien donner et nous suffoquons par privation de l’essentiel. Alors notre personnage s’affole, il prend peur, il élude, il fuit. Et plus il perd sa voix, plus il crie. Plus il s’affaiblit, plus il agresse. Moins il existe, plus il veut démontrer.

Pour établir une communication harmonieuse, il est essentiel de respecter les silences. C’est dans ces moments de pause que nous pouvons recevoir les messages de la Création et l’intuition de ce qui la sous-tend. Lorsque nous contemplons la voûte étoilée, nous la rejoignons et nous fraternisons avec elle. Nous devenons des géants où le temps et l’espace ne comptent plus. Seule existe la qualité de notre relation. Alors nous méditons et nous ramenons au plus profond de nous-mêmes cette compréhension d’un lien particulier avec lequel nous nous accordons jusqu’à notre plus infime mémoire cellulaire.

Les Correspondances sacrées issues des épreuves spirituelles contiennent le mystère d’une révélation, véritable secret de l’existence. Elle est enfouie en chacun de nous tel un germe de Vie attendant son réveil pour éclore et irradier le temple de notre coeur. C’est à travers elles que nous progressons constamment par adaptations, tant sur le plan physique que mental.

Et puis, un jour, le miracle se produit lorsque la lecture des mots traverse la pupille de nos yeux, délaissant notre raison pour une autre réception, plus ineffable.

C’est là où notre âme intervient, chargée de générer les liens par la Connaissance, d’insuffler la pensée et de nous conscientiser. Elle est l’agent mystique, fidèle porteur des échanges entre tous les niveaux de notre manifestation et le Principe créateur.

Elle est entrée en moi. Elle m’a parlé de la mort, de la vie, de l’amour, de la transmission. Elle m’a transporté très loin, par-delà les mondes, et puis elle m’a déposé, seul, dans mon silence intérieur, face à l’indicible.

Bien que parvenu à la lisière de l’entendement, j’ai essayé d’en rendre compte. C’est là que je vous donne rendez-vous, car si votre regard se spiritualise, alors le monde se spiritualise aussi.

 

Le canal de la Mort

 

J’avais neuf ans lorsque la mort se présenta clairement pour la première fois. Happé par une force invisible, suspendu dans un entre deux mondes obscurs, un choix crucial se proposa qui devait pourtant me révéler à la vie.

Mes parents m’avaient offert un magnifique vélo de course d’un bleu métallique éclatant. En 1965, avoir un tel cadeau était un trésor pour un petit garçon de famille modeste et il décuplait ma fierté. Il représentait une forme d’émancipation vers l’adolescence et l’amorce d’une nouvelle liberté.

Par un ardent après-midi d’été, tel Bellérophon sur son superbe Pégase, vêtu seulement d’un maillot, d’un short et de sandalettes, je déjouais la surveillance de ma belle-mère et je m’aventurai sans protection sur les chemins sinueux de Vauvenargues près d’Aix-en-Provence, en compagnie de deux copains, ignorant tous les avertissements et les conseils de prudence sur les innombrables dangers de la route.

Au milieu d’une descente, voulant rattraper mes camarades, j’accélérai. Enivré de vitesse, je fus surpris et comme pétrifié de peur à l’idée de déraper à l’entrée d’un grand virage qui s’amorça soudainement sur ma droite. Je n’osai pas virer franchement et je fonçai tout droit contre un platane qui bordait la chaussée.

Le choc fut brutal et le bruit, dans ma tête, effroyable. Je rebondis en arrière sur le sol comme un pantin désarticulé.

Étalé sur le dos, je ressentis une énorme brûlure envahir tout mon ventre après l’impact du guidon. Mes mâchoires étaient ensanglantées et s’engourdissaient lentement. À travers mes paupières mi-closes, je distinguais le soleil tel un projecteur rougeoyant. Un bourdonnement continu emplissait mon crâne. L’asphalte de la route était brûlant et les gravillons abrasifs avaient râpé mes bras et mon dos. Chaque respiration était un supplice… J’entendis un long crissement de pneus s’amplifier et se rapprocher de ma tête. Je m’attendais à une fin salutaire tellement la douleur était intense. Le conducteur qui faillit m’achever, pensant que nous jouions et que nous allions nous écarter à son arrivée, freina en urgence. Ce fut pourtant grâce à lui que les secours purent intervenir rapidement et me transportèrent à l’hôpital public d’Aix-en-Provence où je repris conscience.

On m’installa sur un lit dans une grande salle commune de l’ancienne bâtisse où se côtoyaient les fractures les plus bénignes avec les plus grands polytraumatisés. Nous étions simplement séparés par des rideaux coulissant le long de câbles accrochés au plafond et par des paravents mobiles. Quelques éclats de rire d’enfants retentissaient parfois et couvraient les soupirs et les râles des plus affaiblis.

Suite à une première consultation, mes lèvres furent sommairement recousues à vif.

En fin d’après-midi, le responsable du Service, le docteur C., m’examina très attentivement. Après quelques palpations de l’abdomen, il conclut très rapidement à une grave hémorragie interne. Je me vidais continuellement de tout mon sang.

Transporté de toute urgence au bloc opératoire, le verdict fut sévère : base du foie éclatée, pancréas écrasé, mâchoires fendues. Immédiatement mis sous transfusion, il n’y avait plus qu’à espérer que mon foie cicatrise vite. Les chances de survie étaient très faibles. J’appris par la suite que mon temps était estimé à deux heures environ.

Je remercie encore la compétence de ce docteur et la chaîne de solidarité qui s’est activée pour permettre une intervention de la dernière chance. Ma pensée va particulièrement à cette religieuse œuvrant dans cet hôpital, et qui, réalisant que chaque minute écoulée était cruciale, se démena sans compter jusqu’à l’épuisement pour réussir à joindre en urgence mon père et obtenir son accord. À l’époque, pas d’Internet ni de mobiles !

Je me revois sur mon lit de souffrances, « miraculé » après l’opération, les lèvres boursouflées et desséchées, le regard tendu vers mon père défait, livide, qui m’observait avec une attention soutenue. Sa présence était précieuse, mais son comportement fébrile en disait long sur mon état inquiétant.

Tout mon corps me torturait. Soulever une seule main devenait presque impossible. Je n’étais qu’un gémissement continu. Je suppliais pour que l’on me donne à boire et lorsqu’on m’humidifiait la bouche avec un coton mouillé, j’aspirais avidement et je me faisais aussitôt sermonner. À plusieurs reprises, plein de lassitude, j’ai souhaité en finir. Et comme rien ne semblait s’arranger, ma demande se fit de plus en plus pressante, quasiment impérieuse.

Alors se produisit cet instant insolite où j’observai l’image de mon père, assis à mes côtés, qui s’éloignait de plus en plus rapidement. Il paraissait comme une photographie fixée au bout d’un gros tuyau dans lequel je m’enfonçai complètement. Les bruits ambiants s’estompèrent. J’étais allongé, glissant la tête la première, sans pouvoir me retourner et distinguer ma destination. La figure paternelle ne fut plus qu’un lointain point faiblement éclairé lorsque, brusquement, je fus stoppé net et je basculai latéralement, le regard tourné sur la gauche. Je fus incapable d’analyser l’environnement très sombre et inconsistant dans lequel j’étais suspendu. Le silence était total, épais. J’étais ébahi, figé dans une sorte de matrice enveloppante. Je n’étais plus dans mon état physique habituel. Je ressentais l’existence de mon corps, mais sans pouvoir le définir vraiment. Toute douleur avait disparu.

Et puis, assez rapidement, une présence invisible se fit sentir, à la fois contraignante, grave et imposante. Je la devinais ; elle m’entourait entièrement, bien qu’elle ne se fût pas matérialisée.

Elle semblait m’évaluer dans un grand silence. Je réalisai assez vite qu’elle venait de me convoquer pour un choix radical et inattendu : mourir, ainsi que je le réclamais avec insistance, ou bien vivre ! Le choix était presque solennel, effrayant, c’était une sorte d’injonction. J’avais compris que je ne bénéficierais d’aucune forme d’excuse. La décision m’appartenait désormais pleinement et elle serait définitive. Il ne s’agissait plus d’essayer de jouer au petit gamin apeuré, turbulent et provocateur pour escompter un quelconque attendrissement ou apitoyer un auditoire. J’étais devenu un adulte éveillé et mûr malgré mon très jeune âge et j’étais mis en demeure de me déterminer rapidement sous peine de poursuivre un voyage sans retour vers une destination très énigmatique.

J’avais donc acquis par là-même l’évidence d’un « ailleurs ».

Je ne remarquai aucun jugement de valeur sur l’option que je prendrais, mais aucune empathie non plus. J’existais dans un environnement parfaitement conscient et pourtant absolument neutre par rapport à mon état.

Esseulé, face à moi-même, je n’avais plus le temps ni l’envie de m’appesantir sur mon sort. Je pris peur du départ inéluctable vers l’inconnu, et un peu piteux, mais rempli d’un nouvel espoir, je dus admettre ma réelle envie de vivre. Je sentis ce désir me réinvestir avec force et je manifestai ma nouvelle prise de conscience avec l’énergie du désespoir. Oui, je tiens à la vie ! Oui, je veux vivre ! S’il vous plaît, ramenez-moi !

Aussitôt, je pivotai vers la droite et je repartis en sens inverse, les pieds en avant, dans une sorte de grand canal nébuleux. À la fin d’une accélération incroyable, je fus ramené vers l’image familière de mon père qui augmenta et s’illumina dans les moindres détails. Dans un effort immense, je réussis à crier : Papa ! Ce fut, pour moi, un hurlement surhumain arraché du fond de mes tripes, qu’il perçut dans un souffle, me confia-t-il plus tard. Il étreignit ma main de sa grande poigne rassurante et je me retrouvai complètement à ses côtés, comme rattrapé par sa réalité…

Et de nouveau, je fus perclus de douleurs, mais heureux d’être bien vivant.

Nous avons un réel pouvoir sur la mort, car elle n’existe que selon notre façon de l’appréhender. Ainsi, l’expérience de la vie peut nous préparer aux autres dimensions de l’être et la mort peut magnifier la beauté et l’immense pouvoir des cycles de nos vies.

Si nous la nommons fin, c’est qu’elle est aussi début. Nous voyons en elle une perte, alors qu’elle nous libère de l’apparence et nous permet de progresser. Elle nous propage vers d’autres connaissances comme une semence qui nous démultiplie.

Sur son seuil énigmatique où nous lui délivrons l’empreinte vibrante de nos vécus, elle devient notre plus précieuse alliée et chacune de ses phases cathartiques nous propulse à travers d’autres mondes et leurs innombrables manifestations. Elle est la voie de notre ultime liberté, celle de la contemplation amoureuse par un regard omniscient.

Puisque nous constatons sa puissance inéluctable, récurrente et universelle, n’est-ce pas pour accentuer l’évidente émanation d’une Volonté créatrice qui nous transcende ?

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