Voici un petit extrait de mon dernier roman à suspense… Olga, mon héroïne, est en Inde.
Elle entra dans une pièce où le bois le disputait aux étoffes multicolores, où des cordages soigneusement noués servaient de sièges assez peu confortables. La moiteur et les odeurs de poivre, de cardamome et de curcuma l’indisposaient. Elle s’avança vers de jeunes sikhs enturbannés, droits comme des i, mais visiblement épuisés par la chaleur, qui semblaient protéger une porte en arc de cercle, au-delà de laquelle se trouvait sûrement le Maître. Cet homme discret était cependant connu de tout l’Andhra Pradesh, le Kerala et, bien sûr le Maharashtra.
N’osant franchir l’entrée, elle attendait qu’apparaisse, à un moment ou un autre, Balajiya. Il tardait. Soupçonnant que la première leçon du Maître consistait à mettre sa patience à l’épreuve, elle ne bougeait pas.
Vint lentement vers elle un grand gaillard barbu, vêtu d’un dhoti en tissu grège enroulé autour de la taille et des jambes. Une simple chemise traditionnelle laissait découvrir son torse. De son visage, on ne voyait que des yeux, perçants, intenses, pénétrants. Et ces yeux, elle venait de s’en apercevoir, la regardaient sans relâche.
Elle pensa se lever, aller vers lui. Puis se ravisa. La force de son regard rendait la situation intenable.
Il se dirigea vers elle. Les deux mains jointes, il s’inclina, et lui dit en anglais :
– Je vois que vous avez un poignet très engourdi.
– En effet, répondit-elle. Sans doute de l’arthrose.
– Peut-être pas. C’est autre chose : vous avez de gros problèmes relationnels avec un ami à vous…
– Je ne vois pas.
– Si, un ami qui travaille avec vous.
Olga était interloquée. “Mais comment sait-il tout cela, pensa-t-elle ?”
– Surtout, ne prenez aucun médicament pour votre poignet.
– Très bien. Mais que savez-vous d’autre sur moi ?
– Je ne veux pas être indiscret.
– Vous ne l’êtes pas.
– Je sais pourquoi vous êtes là, mais je ne peux rien vous dire de plus.
Il rejoignit ses deux mains, s’inclina à nouveau. “Je suis obligé de prendre congé… »
Olga n’en revenait pas…
– Vous n’imaginez pas que je vais vous laisser partir comme cela ? Allons prendre un thé à la cannelle, j’ai vraiment besoin de vos lumières, dit-elle en se forçant à rire.
Comme il faisait mine de s’éloigner, elle l’interpella.
– Qui est Vâyou ?
Un sourire illumina le visage de Balajiya.
– Enfin, nous allons parler de choses sérieuses. Le dieu du vent, bien sûr. Mais vous le savez, n’est-ce pas ? Quelle est votre vraie question ?
– Y a-t-il des adorateurs de Vâyou ?
– Depuis plus de 1500 ans, ses fidèles l’honorent et le vénèrent.
– Je veux dire, encore aujourd’hui ?
– Surtout aujourd’hui ! Certains hommes s’enferment dans leurs mirages numériques, d’autres, et ils sont nombreux, rêvent d’un monde plus connecté… mais spirituellement !
– Vous parlez d’instinct religieux ?
– Si vous voulez. La relation avec une entité plus grande que nous, quelle qu’elle soit, nous aide à vivre. Des femmes et des hommes d’aujourd’hui aspirent à être libres… comme le vent !
– Maître, si vous permettez, c’est un peu court ! Ou alors, tout le monde vénère, consciemment ou pas, Vâyou, car nous souhaitons tous être libérés de quelque chose !
Il regarda de nouveau Olga dans les yeux.
– Ce que vous voulez vraiment savoir, c’est ce qu’attendent les adorateurs de Vâyou de leurs dévotions, car, dans votre esprit, c’est toujours un prêté pour un rendu n’est-ce pas ?
– Appelez çà comme vous voulez…
– La comptabilité et les sentiments vont souvent de pair en occident. Je n’ai jamais bien compris pourquoi… Pour vous répondre, Vâyou concède renommée et richesse à ses adorateurs. Il disperse aussi leurs ennemis et protège les faibles.
Olga restait sans voix.
– Je suis obligé de vous quitter. Mais gardez confiance. Vous êtes sur la bonne voie.
Alors qu’il s’éloignait, très beau et même majestueux dans sa tenue de pauvre, il esquissa un demi-tour : n’oubliez pas ! L’amour commence lorsque l’on surmonte ses différences. L’Amour fait vivre, Olga. Il peut faire mourir, aussi.